Rest - Homer Winslow - aquarelle -

--Lettre froissée--

L'île Bonaparte, Octobre 2009

Ma douce amie, ma très chère...

Le temps passe avec cette légèreté si commune à une vie tranquille. Est-ce que ma vie est "tranquille" ? En apparence elle l'est sûrement ! Je ne travaille pas, ni de loyer, ni de charge ou encore de frais à payer. Je bénéficie de la bienveillance de mes proches, et je n'ai que du temps libre que j'occupe en me baladant, lisant et bien sûr en ayant une activité chronophage bien connu sur la toile virtuelle, ou je poste quelque fois mes états d'âme. Je dis "quelque fois" car je ne les partage pas tous, je ne voudrais pas faire souffrir mon lectorat des noires pensées qui me traverse l'esprit et ce n'est que justice puisque je ne trouve chez eux aucune ombre de ce coté là !

Il semblerai donc que j'ai "la vie facile" abandonnant au monde certaines contingences primordiales comme le devoir de travailler pour gagner sa vie. Il semble en effet, et je dis bien "il semble" car rien n'est aussi trompeur que la prétendu ( ou sous-entendu) oisiveté d'un être, que la vie soit pour moi un long fleuve tranquille. Tout ce temps que j'ai eu (et que j'ai encore)  je l'ai mis a profit pour cultiver mes sens, mon esprit, et quelques jardins secrets si propres aux âmes errantes. Je sais ce que vous vous dites : "C'est bien trop de temps pour faire tout cela" et vous avez sans doute raison.

Un an ! C'est le temps écoulé. On pourrai, si vous le voulez bien faire un bilan. Ceux là même qui sont si simple a faire, en traçant un ligne au milieu d'une pages, on obtient deux colonnes, dans l'une on noirci avec le positif, et dans l'autre avec le négatif. Sans tricher si possible, et voyons ce que ça donne. Mais ce n'est pas si évident car rien n'est clairement positif, ni clairement négatif.

A l'origine, je ne devait rester dans l'île que 6 mois et repartir vers là d'où je suis venu : L'inconnu. Ça ne devait être qu'une escale avant de relarguer les amarres vers le grand large, vers ailleurs. Après deux ans de vagabondages je ne m'imaginais pas rester ici si longtemps, et pourtant.

Je suis un vagabond, un naufragé de la route, c'est comme ça que je me définis, je suis un individualiste bohémien. Ce statut a été plus facile à assumer alors que je parcourais Europe, les grands espaces, sans argent, ni pied-à-terre, formant des récits de voyage aux dernières lueurs du jour. Qui suis-je aujourd'hui ? Cette année passé ici m'a quelque peu dénaturé, qui suis-je donc ? Tout au plus un animal en cage, une bête de foire fatigué. J'ai d'ailleurs quelques restes de vieux tours appris dans ce zoo immense qu'est la vie dans une "société moderne". Je peux donner l'illusion un instant, des souvenirs de ma vie d'avant, une résurgence de vieux réflexes d'autodéfense ( le calcul, le mensonge, l'hypocrisie). Mais l'amer vérité, ( et j'ai appris à aimer ce goût) c'est que je n'appartiens plus à tous ça, et le paradoxe fait que cela fait parti de moi. Etrange ne trouvez-vous pas ?

Le proverbe dit vrai, "Nul n'est prophète en son pays", c'est dire que ma créolité ne vaut rien ici, je n'en ai que faire. Ma créolité prend tous son sens dans l'ailleurs, lorsque je la confronte à l'autre, aux voyages.

Je me suis douté, le "very" jour même où je posais les pieds au dehors de l'aérogare Roland Garros, que je me suis enfermé ( c'est la vertu principal d'une île) et déjà j'avais la certitude que mon plus grand défi serait de trouver le moyen de quitter cette île. Referai-je encore un an ici ? je ne crois pas, non. Sauf ( et je ne sais pas vraiment ce que ça implique) si l'on a besoin de moi, si j'y suis utile à quelque chose. Le plus difficile c'est de ne pas s'attacher au gens, et pour dire la vérité de ce point de vue là c'est déjà trop tard.

Les gens vous les rencontrer, et vous les aimez pour ce qu'ils sont, pas tellement pour ce qu'il font. c'est sans doute le sens du mot "humanisme", et c'est pour moi la condition sinéquanone à toute rencontre. Les rencontres, les gens, c'est certainement ce qui me fera rester ici bien malgré moi.

 C'est je dois vous l'avouer à présent, pour cela que je ne vous ai pas dit au revoir lorsque je suis parti. Vous m'en voulez encore, je le sais bien. Je ne vous l'ai jamais dis, j'avais peur en venant vous voir de perdre le peu de volonté et de détermination que j'avais mis tant de temps et d'effort à rassembler - Lâcheté ! Vous dites vrai en un sens- Il est vrai, qu'un mot de vous, que dis-je un mot, un regarde de votre part aurai suffit à me désarmer et me faire perdre l'idée de partir. Vous m'auriez alors, madame, condamner (avec mon consentement étrange) à une mort certaine, pas physique certes, mais une mort de l'âme.

Le destin (s'il existe) est moqueur, madame puisque condamné je le suis aujourd'hui, non pas par l'amitié/l'amour (j'hésite encore) que j'ai pour vous, mais par le plaisantin relief qui m'a vu naître, mon île, mon pays. Je suis condamné et j'y pense tous les jours, tous les jours... de ma vie "tranquille".

Bien à vous,
  
 

Jayce

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