Yachting competition (détail) - Montaigue Dawson - huile sur toile

-- Lettre déchirée--

Pearl Island, Juillet 2009

Ma chère amie,

Je vous avoue ma folie, et mon insouciance. J'ai failli vous poster cette lettre hors délai. Oui, je sais nos rendez-vous quand arrive les fins de mois, je me retrouve devant cette page blanche que je noirci non sans peine (vous me connaissez si peu bavard) en vous livrant mes pensées, mes humeurs du moment. Une tranche de mon coeur que je vous envoie et qui pour aujourd'hui sera avec un peu de retard. Mea maxima culpa, chère Madame, voyez-vous, l'esprit, valeureux capitaine, me manque, et le coeur, généreux second, a pris le relais, et vous connaissez les penchants du coeur pour le plaisir, n'est-ce pas ? voila que mon corps entier, ce vaisseaux fat et paresseux, a depuis quelques semaines fait halte aux bras de quelqu'une, une certaine qui porte à notre modeste voilure un interet aussi étrange qu'improbable.
[...]
 Le fait est acquis : j'ai jeté l'ancre dans la baie de ses yeux, et en contrepartie elle peut à sa guise manoeuvrer et se promener à loisir sur le pont. Et cependant, alors que j'aspirai justement à me livrer à une femme, je résiste, je suis prudent. je ne m'abandonne pas à mon désir. je ressens comme un malaise, d'un impossibilité d'être heureux, ce n'est clairement pas ce que je veux, ce qu'il me faut.
 [..]
 je sens une menace profonde, à l'intérieur de moi. Comme si un signal d'alarme avait retenti et dont le lancinant écho me parvenait crescendo. J'imagine qu'alors que l'esprit est débarqué, le coeur est aux commandes, mais l'âme, ce bel équipage,  gronde une sorte mise en garde, et rappelle le pacte céleste qu'autrefois mon esprit, mon coeur et  mon âme avions scellé. [...]
J'envie ceux qui, comme vous, naviguent qu'avec le coeur, sans doute naviguent-ils dans des eaux plus pacifiques, mais c'est un danger permanent que de laisser celui-là à la barre. Chez moi le coeur est sot, je ne lui fais pas confiance, dès lors mon âme inquiète sonne les cloches de la mutinerie.
[..]
Cette relation naissante ne m'apparaît pas comme ce long fleuve tranquille que je m'étais imaginé, encore que je ne perçois pas de remous à la surface, ni d'écueils, mais comme dis le proverbe : Méfiez-vous de l'eau qui dort ! 
Et pour vous dire la vérité, j'aime le grand large, sentir les allures portantes, les creux entre deux déferlantes, sans port d'attache ni escale, toujours défiant les vents, je croise au large toute sorte de navire, de la frêle esquif comme moi au plus imposant tanker en passant par les beaux trois mats. Non vraiment, je ne me sens bien qu'au milieu des Océans. Et forcément aujourd'hui j'appréhende donc un peu, la rade dans laquelle mon coeur a mouillé. [...]

Tant et si bien que je n'ai pu résister à vous traduire ces quelques vers d'un poème d'Emily Dickinson ( vous savez d'ailleurs tres bien à quel point je la vénère).... cela donne à peu près ceci :

C'était un si petit, petit bateau 
qui faisait ces débuts sur la baie.
C'etait un si vaillant et brave Océan
qui lui faisait signe,et l'attirait.

C'était une avide et gourmande vague
Qui lui lechait la coque depuis la côte ;
La majestueuse voile ne se voyait déjà plus
Ma petite embarcation était perdu.! 

[...]

Accusez, ma chère amie, avec la plus grande indulgence la réception tardive de ces mots. Ne blâmez pas le prompt messager qui vous les amène, mais l'imbécile ami qui vous les écrit. 

Bien à vous,


Jayce

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